La Toile des Arts se concentre exclusivement sur l’art communautaire et l’art pour le changement social au Canada.
De temps à autres cependant, notre mission et les histoires que nous partageons ont un rayonnement bien plus vaste que nous l’imaginons, et nous nous retrouvons sur le site du Conseil des Arts de Singapour par exemple, ou une histoire que nous partageons se retrouve « re-tweetée » à des milliers de personnes par un rappeur en Floride! C’est l’avantage d’avoir une presence sur le Web, et c’est aussi grâce à des moments comme ceux-ci que la Toile des Arts permet de mesure son impact et rayonnement a l’international.
Il y a quelques semaines, c’est avec surprise et plaisir que nous avons reçu un message d’une réalisatrice française, ayant découvert notre travail sur les réseaux sociaux et souhaitant partager avec nous un projet d’art communautaire sur lequel elle a travaillé à Marseille, dans le sud de la France. Nous avons décidé de faire une exception et de partager son très beau projet sur notre réseau. Il est toujours intéressant de découvrir comment l’art communautaire et l’art pour le changement se développe dans d’autres pays, et plaisant de savoir que le travail de la Toile des Arts inspire des gens au dela de nos frontières.
« Des Petits Princes » à la Compagnie du Silène
En 2014, une jeune réalisatrice marseillaise, Rejanne Avazeri, a filmé les ateliers de la Compagnie du Silène et plus particulièrement le travail réalisé par la psychologue et artiste Nelly Vignal auprès de jeunes handicapés faisant du théâtre avec des jeunes ne souffrant pas de handicap. Le documentaire « Des petits princes » presente ce merveilleux travail et le pouvoir de l’art comme outil de changement social, d’intégration et de dépassement de soi. Le film a été sélectionné au festival 2015 Cinéma et Handicap.
Entretien avec Nelly, animatrice des ateliers
J’ai contacté Nelly afin de lui poser quelques questions sur sa démarche; voici les propos que j’ai recueilli:
Catherine : Est-ce un atelier que vous menez chaque année à Marseille ? Depuis combien de temps ? Combien de jeunes y participent ?
Nelly: Oui, les ateliers suivent la saison théâtrale, de septembre à Juin, ils se terminent par la mise en place d’un spectacle collectif joué dans un théâtre. J’anime ces ateliers depuis 3 ans. L’effectif varie chaque année, il dépend du nombre d’enfants handicapés et des possibilités d’inclusion dans un groupe d’enfants non handicapés. Je suis parfois obligée de faire deux groupes de 5 jeunes, parfois il m’est possible de garder un groupe de 10 jeunes ensembles. Cela dépend également de la nature de l’handicap des enfants. Je prends l’entière responsabilité du « Mixage » et je travaille seule, sans animateur ou éducateur à mes côtés donc je dois être particulièrement attentive aux capacités d’inclusion et à l’évolution des enfants porteurs d’un handicap dans un un groupe d’enfants non handicapés. Certaines années, l’inclusion est impossible ou doit se faire sur la durée donc j’anime les groupes de manière distincte. Mes groupes, en général ne dépassent pas 10 enfants.
Catherine: Obtenez-vous des subventions ?
Nelly: Pour l’instant je n’ai fait aucune demande de subvention car je souhaitais me consacrer à la mise en place d’une méthode de travail sérieuse et approfondie. Cela m’a pris du temps et me demande d’évoluer et de me former moi-même à différentes techniques, corporelles notamment, en plus de mes bagages d’artiste et de Psychologue. C’est un travail assez atypique, qui, dans ma région n’est pas très répandu et je dirais même que la France, de manière générale peine à évoluer vers une prise en charge différente, moderne et pluridisciplinaire des jeunes handicapés. Cette année, une partie de mes objectifs sera consacrée à la recherche de fonds car j’estime être arrivée à un travail aboutit.
Catherine: Pouvez-vous partager des difficultés auxquelles vous avez fait face dans le cadre de ce projet ?
Nelly: Les difficultés tiennent à l’idée même de mélanger des jeunes handicapés à des jeunes qui ne le sont pas. L’handicap, en France, malgré le travail de nombreuse associations, continu d’être synonyme d’exclusion. Exclusion sociale et professionnelle car la société en place ne tient pas compte des différences de chacun et s’est bâtit sur un modèle unique. Les enfants et les familles qui s’inscrivent dans mes ateliers, sont donc tout naturellement conditionnés par cette « éducation » sociale. C’est compliqué et c’est long de défaire ces conventions pour en tisser d’autres. Sur la fiche d’inscription que les parents doivent remplir en début de saison, j’indique, dès les premières phrases, que cet atelier est ouvert à TOUS les enfants et jeunes adultes, que l’objectif premier de la Compagnie est de lutter contre l’exclusion liée aux différences et que, par conséquent, leurs enfants peuvent travailler avec des enfants handicapés. Voilà, après, c’est la grande aventure… Et les difficultés, au début, sont quotidiennes, parce-que les enfants « normaux » ne savent pas toujours comment interagir avec les enfants différents. En milieu d’année, il y a souvent un déclic, ils apprennent à se connaître, les craintes se dissipent franchement et en fin d’année, tout roule 🙂 Il y a aussi des familles et des enfants qui n’arrivent pas à s’adapter et qui quittent l’atelier en cours d’année ou qui n’inscrivent pas leurs enfants, du fait de cette spécificité. Parfois l’inclusion ne fonctionne pas, c’est important de le souligner aussi parce-que c’est un travail réel, qui ne repose pas sur le fantasme que nous pouvons ressentir parfois quand nous abordons ce thème d’inclusion.
Catherine: Pouvez-vous citer quelques exemples de moments de réussite, de satisfaction vous permettant de mesurer votre impact positif?
Nelly: Tous les jours ! Les voir progresser et travailler ensemble, je ne me fixe pas d’autres objectifs car, pour toutes les raisons citées ci-dessus, c’est déjà beaucoup. Néanmoins, je n’oublie pas mon enseignement artistique et la raison pour laquelle ils sont tous ici au théâtre, l’apprentissage du jeu et de l’interprétation. Cet objectif commun et la perspective de donner un spectacle au public nous rassemble et efface les différences au fur et à mesure, la plupart du temps. L’impact positif, c’est de pouvoir changer les mentalités par une meilleure compréhension et acceptation des différences. Je n’ai pas la prétention d’y parvenir, je ne suis pas dans la tête de mes élèves et je ne sais pas quel chemin de vie ils choisiront mais j’ai la sensation de faire « ma part » du travail pour qu’ils perçoivent les choses autrement dans le rapport aux autres. Leur fidélité et l’entraide que j’observe chaque année, me font dire que ce travail opère… Pour les jeunes handicapés, de manière plus spécifique, je suis intimement persuadé de l’efficacité du théâtre comme outil thérapeutique, parfois, les progrès sont fulgurants et je n’ai encore jamais vu un élève dont les capacités sociales, affectives ou de communication et d’interaction n’évoluent pas vers un « mieux ».
(propos recueillis par courriel)
La Toile des Arts souhaite une bonne continuation à la compagnie du Silène et espère que le documentaire permettra d’inspirer d’autres collectifs à se lancer dans des projets semblables, au bénéfice de leurs communautés.
-entrée blog rédigée et propos recueillis par Catherine Lamaison.